[RÉCIT] Course à vélo : Finisher et dernier de la RAF 2022

Publié le : 04/07/2022
Catégories : Cyclisme

Récit de l'avanture "Race Across France 2022"

C’est à l’automne 2021 que je décide de m’inscrire sur la Race Across France 2022, une course à vélo en solo et en toute autonomie, sans assistance autorisée.

La règle principale, parcourir le parcours du Touquet à Mandelieu via St Malo, Annecy, 40 cols dans les Alpes puis le Mont Ventoux pour enfin arriver à Mandelieu, le tout en 10 jours maximum.

Entrainement et préparation à la course vélo

Des sorties longues de 200 à 400km ont été nécessaires durant l’hiver pour se préparer et optimiser le matériel. Malade pendant 3 semaines en janvier, je reprends bien en février et accentue les sorties longues en week-end et des séances de home trainer quasi tous les jours. N’ayant aucune expérience de l’Ultra Cycling, je fais attention de ne pas m’épuiser avec un surentrainement, il s’agit d’arriver au départ avec un très bon état de forme et sans aucune blessure. 

Une semaine avant le départ, je reçois mon numéro de dossard USS152, numéro attribué à vie, et mon heure de départ fixée à 18h43 le samedi 18 juin. Les concurrents partent toutes les minutes.

A l’air de départ, je retire mon dossard, appose les bandes réfléchissantes obligatoires sur le vélo et assiste à 17h au breefing de course.

                                           Breefing raf 2022            Départ RAF 2022             Vélo Giant Defy RAF 2022

La pression monte sérieusement ! Je vois les participants qui ne plaisantent pas, leur vélo est préparé avec soin, rien n’est laissé au hasard, j’espère simplement ne pas m’être trompé dans mes choix. J’ai cependant un doute sur la charge de mon vélo, il me semble trop chargé par rapport aux autres, mais bon… on verra bien.

Dernier chek du vélo et il est bientôt l’heure de rejoindre le podium de départ situé à 2km. La trouille me prend au ventre, beaucoup de questions me viennent et en même temps je suis pressé de partir. Des mois que j’attends ce départ, il est temps d’y aller. 

Départ de la course RAF 2022

Arrivé au podium, l’organisation nous donne une puce GPS à conserver pour nous géolocaliser et nous sommes appelés un par un sur le podium. Je suis le 43ème à partir sur 140 participants, 61 seulement à l’arrivée, il y aura 80 abandons.

18h43, c’est parti, me voilà lancé. On se retrouve vite à plusieurs, entre ceux qui me rattrapent et ceux que je rattrape. C’est un peu la foire d’empoigne, on ne sait pas trop à quelle allure rouler, il ne faut surtout pas se fier aux autres au risque de rouler trop vite et s’épuiser trop rapidement. Nous avons le vent dans le dos mais rapidement, le vent change, une fois de la gauche, de la droite ou de face, difficile de trouver son rythme.

Nous savons tous que l’orage est prévu pour la nuit à venir, j’en profite donc pour avancer au maximum, sans arrêts, pour faire le plus de km possible au sec.

C’est à 1h du matin, alors que j’ai parcouru 180km, un peu avant Le Havre que l’orage tombe très violement. Un déluge de pluie et de vent ! Des branches d’arbre envahissent les routes, le vent nous fait faire des grosses embardés. Je ne me rappelle pas avoir connu de telles conditions en vélo, c’est à la limite du raisonnable. Heureusement, en pleine nuit, il n’y a pas de circulation, nous pouvons exploiter toute la chaussée. Il faut vraiment faire attention d’éviter tous les obstacles qui peuvent faire chuter ou crever les pneus.

Au km230, il est 3h30 du matin et je passe le pont de Normandie. Je suis détrempé mais la pluie se calme un peu. Je ne m’inquiète pas et me dis que j’en verrai d’autres…

L’objectif est de rejoindre St Malo le dimanche soir, donc à 540km du Touquet. Je suis dans les temps et ne m’affole pas.

RAF 22 : 240 km

Un peu avant Deauville, les orages reprennent de plus bel. C’est une horreur, on ne voit rien et les routes sont à la limite du circulable, encore des branches plein la route, des graviers partout, bref, un enfer en vélo.

Et ce que je redoutais le plus arrive, à la sortie de Deauville, je crève de l’arrière ! Je m’arrête sous une station essence pour mettre une mèche dans le pneu. Le trou est trop grand pour que le tubeless soit efficace et trop petit pour une mèche. À la troisième mèche, ça semble être bon et je repars sous la pluie.

10km plus loin, rebelote, la mèche ne tient plus, j’en remets une nouvelle.

20 km plus loin, des « Raffeurs », on va les appeler comme ça, sont arrêtés à une boulangerie. 

Je m’aperçois alors, que je n’ai plus mes lunettes, je les ai oubliées au sol lorsque j’ai mis la dernière mèche. Un souci de plus… En 250km, ça commence à faire beaucoup.

J’en profite pour vérifier la mèche et m’aperçois qu’elle ne tient plus. Je dois me résoudre à mettre une chambre à air. Je ne voulais surtout pas en venir à cette solution, peur de ne pas réussir à faire « claquer » le pneu. Avec une pompe à main, c’est quasi impossible. Et effectivement, impossible de remettre le pneu convenablement, une partie du pneu ne se remonte pas correctement ce qui crée un plat.

Le plat du pneu crée des vibrations qui remontent dans la selle, vibrations dont on se passerait bien. Je me dis que les douleurs de selle vont être amplifiées et ça peu vite terminer au carnage. Il faut absolument que je résolve ce problème à St Malo.

Au km 285, des gens adorables nous attendent avec des boissons pour nous encourager. C’est du bonheur et ça fait vraiment du bien au moral. Je ne me rends pas compte à ce moment-là, mais tout le long du parcours, des gens vont nous encourager, ils savent que nous sommes sur la RAF.

A Luc sur Mer, au km300, nous atteignons le summum de l’insupportable. Un tel vent de face que le vélo est stoppé net. A peine eu le temps de mettre un pied à terre. Je me retrouve avec un autre Raffeur à devoir pousser le vélo sur une cinquantaine de mètres. Impossible de faire autrement tellement le vent est violent !

Au km475, c’est Le Mont Saint Michel, il est 17h et nous sommes sous un vent encore désagréable et une pluie qui ne s’arrête pas. Je ne profite même pas du paysage tellement j’ai hâte d’arriver à St Malo pour me mettre au chaud dans un hôtel.

A 21h15, au km530, j’arrive à un hôtel de St Malo, enfin ! Je vais pouvoir prendre à manger au Mac Do qui est encore ouvert. Je reviens dans ma chambre et prends une douche pour me réchauffer. Toutes mes affaires sont trempées et elles ne sècheront pas. Je prends le temps de manger au chaud. Je commence à être épuisé de cette journée mais il faut que je répare ce fichu pneu arrière. Je ne pourrai pas continuer si je n’arrive pas à le réparer.

Pendant 2h je lutte avec le pneu, je vidange la quasi-totalité de la bouteille de savon de l’hôtel pour faire glisser le pneu sur la jante. Et enfin, j’y arrive. Quel soulagement ! Incroyable ! je n’y croyais plus et la délivrance est là ! Mais quelle perte de temps ! Je me couche vers minuit et me lève à 5h. 

RAF 22 : 530 km

À 6h, j’enfile ma tenue toute mouillée et je pars sous une météo plutôt clémente, c’est très couvert mais pas de pluie.

L’objectif est de rejoindre la première base de vie de Quélaines au km660, où je pourrai faire une pause.

Il faut aussi que je trouve une paire de lunettes. J’en ai une paire de rechange qui m’attend dans mon drop-bag à Mégève mais c’est encore loin. Et le lundi, pas facile de trouver un commerce ouvert dans cette campagne.

C’est à Vitré que j’en trouve une paire qui ne me convient pas mais c’est mieux que rien.

Me reste à trouver un magasin de vélo pour faire le plein de chambre à air. Mais un lundi, pas simple. C’est au km700, à Sablé sur Sarthe, que je passe devant un Intersport ouvert ! Quel soulagement, je peux prendre 3 nouvelles chambres à air.

Au moment où je me satisfais d’avoir trouvé des solutions à tous mes problèmes et à enfiler les kilomètres, catastrophe, je crève une nouvelle fois ! J’en ai ras-le-bol mais me dis que j’ai de la chance de connaitre la mécanique et trouverai bien une nouvelle solution. Je crève à 500m de la base de vie de Quélaines ! Réparation faite j’arrive enfin à la base de vie où je m’arrête 45 minutes. Ouf !!!

Je repars à 13h en espérant rejoindre Bourges (1000èmekm). Le temps se dégrade rapidement et je comprends que je vais me reprendre des orages. Ça tarde à arriver mais autours de moi, les autres Raffeurs commencent à parler de faire un stop à Blois pour y passer la nuit. Jouant sur ma forme physique qui ne connait pas une faille, je me dis que je peux pousser à Bourges, après tout, mouillé pour mouillé, je ne suis plus à ça près.

Quelle erreur je fais là !! L’erreur de débutant ! Le pauvre naz qui croit que tout va aller pour le mieux !

Arrivé à Blois (km850), vers les 1h du matin, je me rends compte qu’il est trop tard pour trouver à manger. Tant pis, je décide de continuer, je vais me débrouiller avec les barres alimentaires que j’ai. Je prends donc la direction du château de Chambord. Les éclairs commencent à apparaitre et je sens que la pluie va tomber d’une minute à l’autre, ça risque d’être très violent. Près du château, je m’arrête sur un banc pour enfiler rapidement mes couvre-chaussures étanches. Super, j’y arrive tout juste avant que le déluge de pluie ne me tombe dessus. Je suis content de mon coup mais ne vois pas le danger qui se présente devant moi. Je ne vois plus aucun Raffeur, j’ai l’impression d’être seul au monde.

Persuadé de mon coup, je persiste et passe le village de la Ferté Saint Cyr à 2h15 du matin. Il fait très noir, nous sommes en pleine forêt de la Sologne. Je ne m’attendais pas à ce que j’allais vivre l’heure suivante. 

Je suis sur une ligne droite de 10km (ce que m’affiche mon GPS) sous les éclairs extrêmement puissants. L’orage claque à m’en faire vibrer ! Je commence à vivre un enfer et me demande rapidement si je vais survivre ! Je suis frigorifié, trempé et c’est un déluge de pluie qui s’abat sur moi. Je ne vois pas plus loin que ma roue avant. Ma lampe tombe en panne, je dois mettre celle de secours qui ne suffit pas. J’allume donc ma frontale en supplément mais avec la quantité d’eau qui me passe devant le visage, la frontale génère un éblouissement. La lumière m’est renvoyée par l’eau. Je dois donc me débrouiller avec l’autre lampe en espérant qu’elle ne lâche pas.

Les éclairs sont de plus en plus intenses et la foudre tombe dans la forêt. Je me dis que je vis mes dernières heures ! Que faire ? Rouler sous l’orage est déconseillé, se mettre à l’abri sous les arbres aussi… et si je m’arrête je vais faire une hypothermie, mon corps tremble de partout. Je pense à appeler les secours mais le temps qu’ils arrivent ce sera trop tard, il ne faut pas arrêter de pédaler pour ne pas tomber dans l’hypothermie. Je me demande si j’ai toute ma tête. Je suis conscient que dans les sports extrêmes, nous n’avons plus toute notre tête pour raisonner. Est-ce que je prends la bonne décision ? Je n’en sais rien mais je décide de continuer. Je passe dans un hameau Le Bout d’en Haut mais strictement rien pour se mettre à l’abri, La Marolle en Sologne, idem. Je continue et espère voir un autre village avec un abri. 

C’est à 3h30 du matin que j’arrive à Neung sur Beuvron et je peux entrer dans un distributeur de billets du Crédit Agricole. 1h30 pour faire 16km ! Deux Raffeurs sont déjà dans le distributeur en train de dormir. Ils me voient entrer dans un tel état qu’ils se demandent ce qui m’est arrivé. Ils ne se sont pas rendu compte de l’orage, ils étaient arrivés à cet abri avant que ça tombe, les veinards.

                                                               abri raf 2022

Je ne peux pas dormir tellement je suis trempé mais la chaleur de ce local me fait du bien. Je reste assis à terre pendant 2 heures. Les deux autres décident de repartir, je repars donc avec eux, c’est plus sûr. Il ne pleut plus mais mon vélo a tellement pris la flotte que les vitesses (Di2) ne fonctionnent plus. Je me dis que là c’est la fin. Trop c’est trop !

RAF 22 : 910 km

Arrivé au village de Marcilly à 6h avec eux, on prend un café à l’auberge qui vient d’ouvrir. Constatant que je ne peux pas continuer avec des vitesses qui ne fonctionnent plus, je dois trouver une solution sinon c’est l’abandon. Je cherche donc à sécher toutes les connectiques du vélo et miracle, ça remarche ! A la fois content mais usé de toutes ces péripéties, le moral est au fond des chaussettes. Il faut se faire violence pour continuer.

Trempé mais avec une météo plutôt clémente, c’est nuageux mais sans pluie, je décide de rejoindre la deuxième base de vie, Gueugnon au km 1135. Sur le trajet, je rejoins Florent, un Raffeur avec qui je vais beaucoup rouler. 

Nous décidons de faire une pause d’une heure à Decise, km1074, pour manger dans un centre commercial. Pause qui fait du bien.

RAF 22 : 1140 km

 Il est 16h45 quand nous repartons pour arriver à Geugnon à 19h30. Là nous pouvons prendre une douche et dormir sur des lits de camps mis à notre disposition. Que du bonheur !

Alors que Florent décide de repartir vers 22h, je décide de me reposer et de rester plus longtemps. Je repars à 4h du matin sous la pluie. Dur !! Je n’en peux plus de la pluie ! ça commence à jouer sérieusement sur le moral ! Mais il faut y aller.

La route est usante, ce ne sont que des « tobogans », des fortes descentes suivies de fortes montées. Obligé de changer de vitesses constamment. Physiquement je commence à marquer le coup. Je m’aperçois que je ne passerai pas les Alpes dans ces conditions, il faut que j’allège mon vélo. Je fais donc un arrêt à Thoissey km1232 pour remplir un colissimo de tout ce qui m’était inutile et de renvoyer le tout à la maison. J’en retire au moins 4kg, sur un vélo qui en fait 20, ça change !

Avant les grosses difficultés, on se prend deux gros « pétards » qui laissent de bonnes traces dans les jambes. Je commence à ne pas être vraiment bien, je traine et n’arrive plus à avancer à une allure correcte.

C’est alors que Pierre Charles (le plus gros rouleur en France 60 000km/an) me rattrape et me demande si ça va. Je lui réponds que non, je suis flingué. Il me dit de le suivre pour éviter l’orage qui nous attend. Il connait parfaitement le coin et sais qu’au village situé 30km plus loin, nous éviterons l’orage. Je me fais violence et le suis. Arrivé à Saint Romain de Jalienas, nous sommes visiblement épargnés par l’orage, nous en profitons pour boire un coup ensemble sur une terrasse.

                                                                     avec Pierre Charles

Nous repartons tous les deux en direction du col des Fosses. Sur la route, un aficionado de Pierre Charles roule avec nous et nous encourage. Le vélo de Pierre fait un bruit de craquement insupportable, le vélo est dans un état déplorable mais je ne sais pas si un vélo, en France, a plus de kilomètres que celui-là. C’est en tous les cas un honneur de rouler avec lui. On attaque le col des Fosses à pleine vitesse pour éviter une nouvelle fois l’orage. Je suis debout sur les pédales comme lui et le rythme est infernal ! Dans la montée, nous doublons Florent qui était repartis plus tôt de la base de Gueugnon. Il ne peut pas suivre mais tant pis, on trace. La descente se fait pleine balle pour rejoindre le col du Chat. 

La route du col du Chat vient d’être refaite et entièrement gravillonnée. Impossible de se mettre en danseuse. Je ne veux pas prendre de risques et sent bien que le rythme de Pierre est trop élevé pour moi. Je décide de monter le col tranquillement et d’en profiter pour attendre Florent.

                                                                            col du chat raf 2022

A peine commencé la montée, des trombes d’eau s’abattent sur moi ! Encore un orage ultra violent. Florent me rejoint et on termine le col vers 20h. Florent est le Raffeur parti juste devant moi au Touquet. Nous nous sommes doublés, redoublés plusieurs fois pour au final avancer à la même allure. Mais dans ce genre d’épreuve, autant il est agréable de rouler en compagnie d’un autre Raffeur, autant nous ne pouvons pas nous attendre. L’un peut être en forme quand l’autre ne l’est pas et 10km plus loin c’est l’inverse.

Nous décidons tous les deux de rejoindre Aix les Bains pour passer une petite nuit à l’hôtel. Nous arrivons à Aix vers 22h. Nous y retrouvons une dizaine de Raffeurs dont Pierre, tous abrités sous une devanture de magasin. La pluie redouble de violence, les routes se transforment en ruisseau et chaque camion qui nous double envoie des gerbes de 2m de haut. Horrible ! Nous demandons aux autres s’ils ont réservé une chambre d’hôtel mais visiblement, Pierre décide de continuer malgré les conditions. Les autres le suivent sans savoir dans quelle galère ils vont tomber. C’est l’abandon pour plusieurs d’entre eux le lendemain.

Le temps de se prendre de quoi manger à un Fast Food, nous rejoignons nos chambres respectives vers 23h.

RAF 22 : 1400 km

A 5h du matin, je repars et m’aperçois que Florent est déjà parti. Pas de pitié, on est sur une course… Il ne faut pas le prendre mal et ne surtout pas en vouloir à l’autre, chacun gère son effort.

Là c’est départ pour le col de Leschaut, 27km de montée mais pas trop raide, ça se fait plutôt bien. Redescente sur le lac d’Annecy complètement recouvert d’un nuage gâchant tout le paysage. Bref, on ne s’attarde pas, il faut rouler. Le bord du lac d’Annecy est plat et je constate que je ne peux plus utiliser ma position couchée sur les prolongateurs, impossible de relever la tête. C’est le syndrome de la tête qui tombe qui commence. Très douloureux surtout lors des freinages ou des descentes quand la tête est projetée vers l’avant. Mais bon, j’en ai vu d’autres et il en faudra plus pour me flinguer.

L’objectif du jour est de rejoindre au plus vite Mégève où mon Drop Bag m’attend (sac que j’ai pu laisser à l’organisation avec des affaires de rechange et mes fameuses lunettes tant attendues).

Mais avant, il faut monter à Thones, Le Grand Bornand puis le col de la Colombière au 1500ème km. Je discute à ce moment avec un certain Simon, habitant de Mégève. Il me rassure en me disant que la montée vers Mégève est vraiment tranquille, Ouf ! Mais c’est sans compter sur celui qui a fait le parcours. Il s’est amusé à nous mettre régulièrement des pétards à 20% voire des chemins de gravel impraticables en pleine descente… La montée vers Mégève passe donc par une petite route non pratiquée par les voitures, hyper raide. Même à pied en poussant le vélo, c’est limite de se casser la figure. Mais pourquoi ?? Je trouve ça complètement idiot et ne serai pas le seul. L’organisateur de l’épreuve a reconnu lui-même que de trop nombreuses difficultés inutiles de ce genre avaient été rajoutées rendant cette version de la RAF 2022, l'édition la plus difficile depuis son existence. 7 cols et 150km ont été rajoutés à la version précédente. Il promet de revoir sa copie pour la suivante. Les conditions météo ont engendré de nombreuses chutes plus ou moins graves et des accidents dont un ayant entrainé la mort d’un participant. Toutes mes pensées pour lui et sa famille !

 1550km : L’arrivée à la base de vie de Mégève fait du bien, nous pouvons prendre une douche et manger. De nombreux participants décident à ce moment-là de ne pas repartir soit pour blessure, soit pour les conditions météo insupportables ou tout simplement parce qu’ils ne voient pas comment arriver dans les temps au second cut-off de St Jean Royans. Je ne prête pas trop attention et ne me laisse pas déconcentrer, il faut repartir sans réfléchir et vite.

Nous attend maintenant l’enfer ! Il faut donc rejoindre la base de vie de St Jean Royans en moins de 2 jours sinon c’est la disqualification. Mais il y a 500km avec tous les plus gros cols.

Comme la journée n’est pas terminée, je décide de reprendre la route pour prendre de l’avance ce soir. Objectif, rejoindre Bourg Saint Maurice. Il faut que je fasse deux gros cols ce soir, Les Saisies et le Cormet de Roseland sous la pluie, plus de 20km chacun. Ma femme appelle un hôtel à Bourg Saint Maurice et le gérant a la gentillesse de me préparer un plateau repas avec de la charcuterie locale, du fromage et une bonne tarte. Pendant les deux montées interminables, je ne fais que de penser à ce plateau ! J’en rêve !

RAF 22 : 1640 km

J’arrive sur place à 23h et y retrouve Florent encore une fois. Il est accompagné de Sylvain qui abandonnera un peu plus loin car malade. La journée de demain est la plus monstrueuse de toutes et j’en ai conscience. Je décide donc de bien dormir et de ne repartir qu’à 6h donc levé à 5h.

Malgré ce bon repos, le départ est difficile, je n’arrive pas à me mettre en jambes et me sens bien seul. Encore une fois, Florent m’a fait faux bond et est parti plus tôt. Pas grave on va gérer. Il va falloir être fort sinon c’est l’élimination !

J’entame le col de l’Iseran et j’aperçois un Raffeur quelques lacets plus hauts. Je mets les watts pour le rejoindre car je sens que seul je vais mal tourner. Je finis par le rattraper, je ne l’ai encore jamais vu, on fait donc connaissance. C’est Karim ! Quel bonheur pour tous les deux de ne plus se sentir seuls. Nous avons tous les deux besoins de ne plus affronter les difficultés seuls. 

Nous allons donc monter les 40km de l’Iseran tant bien que mal en se motivant l’un l’autre. Nous sommes complètement rincés, usés, à bout de force. Je lui demande où il compte aller aujourd’hui. Son objectif est le même que le mien, rejoindre l’Alpe d’Huez. Donc on va faire ça ensemble.

                                                                     Iseran raf 2022

Le début d’une toute autre aventure ! Karim me demande si je sais ce qui nous attend, comme j’ai des fiches où sont répertoriés les cols, je lui en fait part. Je le rassure en lui disant que le prochain serait le Galibier, long mais régulier. Le col de l’Iseran est interminable et extrêmement usant, on se demande comment on va faire pour la suite. Heureusement il ne pleut pas.

La descente est un enfer pour moi, ma tête qui tombe me fait très mal. La position couchée avec la tête à relever et les coups de freins permanent vont m’achever. Il faut que je trouve une solution, impossible de continuer comme ça.

Arrivés en bas à St Michel de Maurienne, nous faisons une pause. Nous avons mis 10h pour monter puis descendre l’Iseran ! On se demande comment on va faire pour enchainer le reste dans les délais. Ça semble totalement impossible. Il est 16h30 et pour arriver à l’Alpe d’Huez, il reste à faire le Télégraphe, le Galibier, Sarennes et enfin aller à L’Alpe d’Huez !

                                                                         tête qui tombe raf 2022

Nous décidons donc de dormir sur une table de pique-nique, la table en bois avec un banc de chaque côté, à St Michel pour reprendre des forces. La table de pique-nique nous semble d’un confort incroyable, que c’est bon !  

A 17h30, nous partons pour le Télégraphe mais je crève au bout d’un kilomètre. On monte à un rythme lent mais ultra régulier. La météo est bonne, le moral revient. Durant toute la montée, nous nous faisons dépasser par des mobylettes. Arrivés en haut, un gros regroupement d’une quinzaine de mobylettes est là. Ça n’arrête pas d’arriver et de repartir. Ils montent le Télégraphe à longueur de journée. On s’arrête pour discuter, ce sont des passionnés de la mob qui viennent du Nord. Ils nous encouragent et on repart dans une descente pour rejoindre le pied du Galibier.

col du tel graphe raf 2022

La nuit tombe quand nous sommes dans la montée du Galibier. A 22h30 nous sommes au sommet. C’est un soulagement d’avoir fait ces gros morceaux que sont l’Iseran et le Galibier. Mais ce n’est pas terminé, à l’heure où habituellement je serais devant mon téléviseur à me distraire dans mon canapé, je dois descendre le Galibier pour ensuite faire Sarrennes. Connaissant bien le secteur, ça me fait peur. La descente du Galibier est très longue, il faut passer par le Lautaret et ensuite descendre vers le lac de Chambon. Il fait froid, nous sommes hyper fatigués et en sommes conscient. Il faut donc descendre doucement, éviter les gravillons sur la route, éviter la chute et rester vigilant. C’est usant. Nous marquons plusieurs arrêts et mettons 2h pour rejoindre le lac de Chambon.

galibier raf 2022

Reste le morceau qui me fait peur, le col de Sarrennes, appelé la montée sauvage de l’Alpe d’Huez. Il porte bien son nom, c’est un col très difficile, complètement irrégulier avec de très forts pourcentages sur une route défoncée. C’est pour moi, un des cols les plus difficiles que je connaisse. Je l’ai déjà pris plusieurs fois et ça a toujours été compliqué. Dès le départ, on met un pied à terre, le pourcentage est trop fort. Plus de 15% avec nos vélos de 20kg et avec la journée que nous avons passée, c’est trop. On se motive l’un et l’autre. C’est là que l’union fait notre force. Seuls on n’y arriverait pas, trop de fatigue. Il fait totalement noir, on ne voit rien mais il ne pleut pas. Nous arrivons au sommet à 3h15 du matin.

Il faut maintenant rejoindre l’Alpe d’Huez par une route qui habituellement me semble facile mais c’est une dizaine de kilomètres interminables. Hâte d’être à l’hôtel. Ma femme nous a réservé une chambre que nous découvrons à 3h45. Nous sommes épuisés mais super contents d’avoir atteint notre objectif. Je n’en reviens pas moi-même de ce que nous avons pu avaler cette journée, je ne pensais pas cela faisable. C’est monstrueux !

Une fois à l’hôtel, Karim s’étale sur son lit et ne s’en relèvera que quelques heures plus tard pendant que je me prends une douche. Je me couche et ne mets pas de réveil, nous avons trop besoin de dormir.

Il faut penser au Cut-Off de St Jean Royans. Si nous n’arrivons pas avant 20h, nous serons disqualifiés. La pression est importante sachant qu’il nous reste 7 cols pour y arriver. Cela nous semble impossible mais on ne va rien lâcher.

RAF 22 : 1842 km

Réveil à 8h30 pour entretenir les vélos, il faut que je change mes plaquettes de freins, réglage du dérailleur avant de Karim qui ne fonctionne plus pendant que Karim huile les chaines avec de l’huile à pizza.

On se prend un bon petit déjeuner pour prendre un maximum de forces. On en profite pour regarder sur l’application de la course, où sont les autres. On se rend compte que beaucoup d’entre eux abandonnent ici à l’Alpe d’Huez. C’est vrai qu’il semble impossible de rejoindre St Jean de Royans dans les délais et dans l’état dans lequel nous sommes.

                                              dej raf 2022  Tarte raf 2022

Pas grave, il est hors de question pour nous d’abandonner, il faut y aller. Nous partons à 11h pour la descente de l’Alpe d’Huez et monter le col du Glandon, interminable, c’est 25km de montée. Arrivée en haut à 15h. C’est tard, il reste trop à faire. Mais l’organisateur de course nous informe que le délai pour arriver à St Jean a été rallongé et il nous laisse jusqu’à 9h le lendemain pour arriver. C’est un soulagement mais ça veut dire tout de même avaler les 7 cols et les 250km entre l’Alpe d’Huez et St Jean en 22h. Il va falloir lâcher les watts !!

Karim Raf 2022

Nous repartons pour le col du Grand Cucheron. Karim meurt de faim et il n’y a rien pour se ravitailler. Nous piochons dans toutes les réserves alimentaires que nous avons pour tenir. A 22h30, nous arrivons à Allevard. On cherche de quoi manger et heureusement une pizzeria est encore ouverte. Les gérants sont super sympas et nous bichonnent. On peut enfin manger et boire sur une terrasse en bois. Le panard… mais pas le temps de trainer davantage, il faut repartir, reste 180km à faire avant 9h du matin.

Karim me trouve une solution pour ma tête qui tombe, il m’attache la tête dans le dos avec une chambre à air. Karim a toujours une solution à tout ! La chambre à air passe dans le casque et relie mon harnais, une bonne solution mais je dois serrer le casque au maximum pour qu’il tire bien la tête en arrière. 

raf 2022

Le col de la Coche nous attend, 19km de montée, ça fait mal et c’est moi qui commence à piquer du nez, je n’en peux plus. Une envie de dormir contre laquelle il est difficile de lutter. Nous passons La Coche à 00h30. 

2000km : Puis vient le col des mouilles, 11km pas trop difficile mais usant. Passage au sommet à 2h30 du matin et nous sommes au 2000ème kilomètre de la RAF.

S’enchaine la Croix de Pinet, 11km de montée. Arrivée en haut à 4h45. Il se remet à pleuvoir et nous devons descendre jusqu’au pied du col de Moucherotte.

Nous faisons une pause déjeuner à Pont de Claix. Arrivés à 6h30, nous trouvons une boulangerie qui vient juste d’ouvrir. Que du bonheur. Là ce sont les tartes, viennoiseries, boissons et tout ce qui nous réconforte. On assiste à une dispute entre un déséquilibré et un barman. Ça dure un bon moment mais ça nous distrait. De quoi s’échapper un peu de notre bulle.

Nous repartons pour le col de Moucherotte, 16km à fort pourcentage. Il est maintenant certain que nous ne serons pas dans les délais. Impossible d’arriver à 9h alors que nous n’avons pas fait Moucherotte. Mais on ne lâche pas, on verra bien ce qui se passe.

Un œil sur le live de la course pour voir où sont les autres. Force est de constater que nous sommes les derniers, tous les autres derrière nous ont abandonné voyant que le délai était intenable.

Nous passons le col de Moucherotte à 8h45, autant dire que nous avons bien monté. Difficile de se motiver sachant que nous sommes foutus, nous ne serons pas arrivés à St Jean à 9h. Karim se sent désabusé et personnellement je ne préfère pas penser à quoi que ce soit. Pédaler et pédaler, on verra la suite. De toutes les façons, l’état de fatigue dans lequel nous sommes ne nous permet plus de raisonner. Karim ne pense qu’à manger et moi qu’à dormir.

col de moucherotte raf 2022

Une longue descente nous emmène à St Jean. C’est une véritable souffrance avec ma tête qui tombe. Je ne vois pas à plus de 5 mètres devant. La tête ne tient plus. Je suis obligé de m’asseoir sur la sacoche de la barre centrale du vélo pour baisser mon corps sans avoir à me pencher. Ainsi je peux avoir contact avec mes poignées de freins tout en ayant une position droite. Mais cette position est difficile à tenir, les jambes sont en contraction permanentes, je crains de voir arriver des crampes. Mais impossible de faire autrement. Chaque trou ou plaque d’égout est un supplice. Je pousse des cris à chaque choc. Je n’en peux plus et c’est Karim qui me motive, il vient régulièrement aux nouvelles, voir comment ça va. Un bonheur d’être avec lui. De son côté, il peste contre l’organisation et les délais mis en place qui vont nous conduire à l’élimination.

RAF 22 : 2116 km

Nous arrivons enfin à St Jean à 10h45. La base de vie est fermée ! Catastrophe ! nous ne pouvons donc pas récupérer notre deuxième drop-bag (sac avec nos tenues de rechange), ni mettre nos appareils en charge.

st jean romans raf 2022

Et pour clôturer, nous sommes officiellement disqualifiés de la course sur le live. Nos noms n’apparaissent plus. Nous recevons plusieurs messages de personnes qui nous suivent et qui nous demandent pourquoi nous sommes éliminés. C’est une descente aux enfers. Je me dis que rien n’est perdu, il faut négocier avec l’organisation. Je les appelle et tombe sur une fille qui me dit sèchement que le règlement c’est le règlement ! Je la supplie de faire part de ma requête auprès d’Arnaud, l’organisateur. Je lui demande de tenir compte des aléas climatiques qui nous ont retardés. S’il n’y avait pas eu tous ces orages, nous aurions perdu beaucoup moins de temps à faire de la mécanique. Les descentes de cols auraient pu se faire beaucoup plus rapidement. Bref, revoyez le règlement, sachant que nous arrivons au Cut-Off avec seulement 1h45 de retard ! Nous avons roulé jours et nuits, nous ne voulons pas arrêter là. La fille me promet d’en discuter et de me rappeler.

Karim appelle sa femme pour qu’elle nous trouve un lieu où dormir un peu. Elle trouve une auberge qui peut nous accueillir mais il faudra que nous quittions les lieux avant 15h. ça nous va, on prend.

Arrêt à l’Escapade des Tourelons. Clémentine, l’aubergiste, avertie que nous arrivions, nous prépare un festin qui tombe bien. Un super accueil alors qu’elle est débordée. Elle nous bichonne, nous apporte des fruits, des tartines, tout ce qui peut nous faire plaisir. Une auberge vraiment à conseiller où il fait bon vivre. Un grand merci à Clémentine.

Et durant ce repas, je vois Karim se décomposer, il n’est plus dans la course. Sur cette course, nous sommes dans une bulle où les éléments externes ne doivent pas nous atteindre et je le sais. Je décide de rester dans cette bulle malgré notre disqualification. Je rassure Karim en lui disant que la négociation que j’ai faite allait marcher sinon, j’avais un plan B pour abattre une carte supplémentaire. Il est maintenant 13h30, pas le temps de prendre une douche, il faut dormir un peu, nous devons libérer la chambre à 15h.

Au moment d’aller se coucher, l’organisation nous appelle pour nous annoncer que nous sommes repêchés ! Nous sommes donc toujours dans la course mais nos balises GPS resteraient invisibles par ceux qui nous suivent. Quel bonheur ! La délivrance, ne pas avoir fait tout ça pour rien ! 

C’est reparti à 15h avec nos tenues sales, un peu de pommade anti-frottement, des fruits donnés par Clémentine qui nous voit partir avec pitié. Elle va nous suivre sur le live. Son accueil nous a vraiment fait du bien.

raf 2022 st jean raoyans 

L’objectif, maintenant, est d’atteindre Mandelieu avant mardi 20h sinon, nous serons non-finisher. Et la tâche est rude, encore une dizaine de cols sur 500km à faire. Nous sommes le dimanche à 15h45 quand nous reprenons le départ.

C’est parti pour le col de Carri, 22km à un pourcentage correct, pas trop difficile. Mais ma tête me fait de plus en plus souffrir. Nous prenons la décision de rouler calmement mais sûrement, de ne pas nous affoler, notre état de fatigue ne nous permet pas de faire autrement.

A 3km du sommet, Karim s’arrête pour enfiler une veste de pluie. Je le passe en lui demandant si ça va, tout allait bien donc je ne m’arrête pas. Arrivé en haut, je l’attends. Les minutes passent et pas de Karim. J’ai le temps de passer un appel à ma femme pour la tenir informée de notre avancement. Au bout d’un quart d’heure, je commence sérieusement à m’inquiéter, où est Karim ? Comme il s’était arrêté sur la voie de gauche, je crains qu’il se soit fait percuter par une voiture. Je décide de redescendre le col de Carri sur les 3 derniers kilomètres et toujours pas de Karim. Je m’affole et me demande quoi faire. J’appelle l’organisation pour expliquer que le USS218 a disparu, je crains qu’il ait eu un accident. Ils me répondent qu’ils allaient le rechercher avec la balise GPS. Et là c’est le vide, je n’ai plus Karim, c’est la cata, toutes les idées me passent par la tête. Est-ce que je fais bien de continuer à rouler…

Je décide de rejoindre le village suivant pour prendre une décision.

Et là, surprise, j’aperçois Karim assis à une terrasse de Snack en train de manger une glace ! Impossible de nous expliquer comment on a pu se louper, ne pas se voir dans la montée ! Grosse frayeur mais qui se termine bien. Je demande au Snack ce que l’on peut manger, c’est croque-monsieur et frittes, rien d’autre. En dessert un magnum de glace. Le snack ressemble à un appartement insalubre, sur le comptoir est placée la friteuse et à l’arrière, le congélateur. Le tenancier, d’au moins 75 ans voire plus est bien gentil mais dans un état… Les sandales aux pieds avec des chaussettes aussi sales que les nôtres. Bon, pas le choix, j’espère ne pas être malade avec ce que l’on va manger. Karim appelle l’organisation pour les rassurer et nous voilà repartis vers 19h30 pour le col du Rousset, long de 8km.

pause raf 2022

RAF 22 : 2220 km

On arrive dans la ville de Crest à 00h30 espérant trouver quelque chose à manger. Karim est obnubilé par la bouffe. Il a raison, c’est ce qui fait notre force. Mais personnellement je préfèrerais dormir. A Crest, deux jeunes filles nous indiquent l’emplacement d’un distributeur automatique de pizza. Super, la salive nous monte à la bouche !! Et arrivé à l’endroit désigné, force est de constater que le distributeur a été retiré. Nous repartons dans le centre-ville et demandons à des jeunes où nous pouvons trouver de quoi manger. Ils nous indiquent un autre distributeur de pizza à une dizaine de kilomètres. Pas le choix, il faut y aller, ça fait bientôt une heure que nous tournons en rond pour ne rien trouver.

C’est donc reparti avec l’estomac vide. Et ce que nous avons mangé au Snack l’après-midi ne passe pas bien. 

Au village suivant, Le Puy-Saint-Martin, il est 1h30 du matin et nous ne pouvons plus continuer, nous somnolons sur le vélo, c’est trop dangereux. Nous sommes complètement à bout de force. Nous entrons dans un petit champ bordé d’un mur. C’est là que nous allons nous endormir à-même le sol jusqu’à 4h du matin. Le réveil est douloureux, la rosée nous mouille et il y a un vent froid très désagréable. Il faut repartir avec toujours la faim au ventre, pas bon !

Nous nous arrêtons à une boulangerie 30km plus loin, à Grignan. Le boulanger est ouvert 24h/24h, une chance. Avec deux bons cafés et plein de viennoiseries, nous voilà prêt à repartir, il faudrait rejoindre le Mont Ventoux le plus tôt possible.

boulangerie RAF 2022

Nous arrivons à Malaucene à 10h mais encore une fois avec la faim au ventre. Toutes les terrasses refusent de nous faire à manger, il est trop tôt. Une d’entre elles accepte de nous faire des sandwichs. Nous passons à un magasin de vélo pour faire le plein de barres alimentaires.

Et c’est parti pour le Mont Ventoux. D’entrée, je ne le sens pas, ça ne va pas, je n’ai plus de forces, la tenue de ma tête nécessite trop d’efforts. Je décide donc de monter très doucement, je ne peux pas faire davantage. Karim prend beaucoup d’avance et arrive en haut bien avant moi. Il m’attend longuement et décide d’entamer la descente, il fait trop froid au sommet.

RAF 22 : 2325 km

Quand j’arrive en haut, je cherche Karim, mais personne ! Je suppose qu’il est descendu au Chalet Reynard. J’y vais et ne trouve toujours pas Karim. J’essaye de le joindre par téléphone mais impossible. Son téléphone à pris l’eau, il a été obligé de changer de carte SIM et il peut émettre des appels mais pas en recevoir. Compliqué de se joindre. Je continue donc de rouler en me disant qu’il doit bien être plus loin. 

mont Ventoux raf 2022

D’un seul coup, soulagement, il m’appelle et me dit qu’il est à Mazan, un peu après Bedoin. Il a le temps de faire quelques courses dans une supérette avant que j’arrive. On mange assis sur le trottoir et dormons 20 minutes au sol.

Nous repartons de Mazan à 17h30 pour rejoindre la base de vie de Mormoiron située à une dizaine de kilomètres. Base évidemment clôturée mais les organisateurs d’une autre course nous proposent de nous ravitailler, heureusement, ça fait du bien.

Karim est alors énervé de constater que toutes les bases de vie que nous passons sont fermées, donc impossible de remettre en charge nos appareils, GPS, téléphone, éclairages…

Nous sommes donc le lundi 27 à 18h30 et il nous reste 300km à faire pour terminer la RAF avant le lendemain 20h. On se dit que nous sommes dans les temps mais il ne faudrait pas qu’il nous arrive de crevaisons ou autres déboires. Et c’est là que le pire arrive ! La suite est une suite d’évènements improbables et totalement inattendus.

Nous partons pour monter à Saint Christol d’Albion, une montée longue et pas facile. Karim est extenué, il a qu’une envie, dormir. Il préfère rester derrière moi pour rester éveillé. La nuit tombe et c’est encore plus difficile de rester éveillé. De mon côté, tout va bien sauf la tête qui tombe. Karim n’a plus de GPS (plus de batterie) et son téléphone est chargé à 4%. Reste mon GPS. 

RAF 22 : 2425 km

Il est 22h quand je commets une énorme erreur. Après Sault, je me trompe de route et on fait une descente de 19km à pleine vitesse. On se dit que les kilomètres défilent, c’est bon à prendre.

Arrivés en bas, le GPS n’affiche plus le parcours. Normal, on l’a quitté 19km plus haut ! Il ne fallait pas descendre ! Il est 23h et c’est la catastrophe ! Comment faire ? Nous savons qu’avec cette erreur, nous ne pourrons plus arriver dans les délais, c’est fichu !

Nous sommes sur un rond-point depuis plus de 15 minutes dans le noir et cherchons des solutions. Personnellement, je me dis qu’il faut tout remonter, on ne réfléchit pas et on y va. Mais Karim ne l’entend pas comme ça. Hors de question pour lui de tout remonter. Je lui demande donc ce qu’il propose comme solution. Il me répond qu’il faut trouver un camion pour nous remonter ! Mais ça fait 15 minutes que nous sommes là et aucune voiture ni camion n’est passé sur ce rond-point donc l’idée me semble impossible à réaliser. Karim est obnubilé à l’idée de trouver un camion, il appelle son copain qui nous confirme que nous sommes bien dans la panade ! C’est foutu pour nous.

Soudain, nous entendons un véhicule arriver de la descente que nous avions prise. Miracle, c’est une camionnette de boucherie. Karim stoppe la camionnette et négocie avec le chauffeur pour qu’il nous reconduise 19km plus haut. Il ne peut pas, il est trop dans l’urgence pour sa livraison. On lui explique que sans lui, notre course est fichue. Nous sommes prêts à le payer ce qu’il veut pour nous remonter. 

Le chauffeur nous prend en pitié et décide de nous aider. Il ouvre la camionnette remplie de carcasses de viandes suspendues. A peine la place de mettre les vélos. Mais il faut que ça rentre ! On force et voilà nos vélos au milieu de la viande. Il faut plus de 15 minutes à pleine vitesse pour nous remonter en haut, inutile de dire qu’à vélo c’était foutu. 

En reprenant mon vélo je m’aperçois que lors du transport, un rayon de la roue arrière s’est cassé. Va falloir faire gaffe dans les côtes et descentes pour ne pas endommager davantage la roue.

Il nous dépose en haut mais pas au bon endroit. Sur cette course, si vous quittez la trace, il faut reprendre la trace là où vous l’avez quittée. Nous prenons donc la trace en sens inverse jusqu’à rejoindre le point où nous l’avions quittée. Que de temps perdu mais quelle chance d’être tombés sur ce chauffeur. Encore une fois, merci à Karim et ses idées sorties de nulle part pour nous sortir d’une situation bien mal engagée.

On reprend espoir, tout est possible pour arriver à Mandelieu à 20h. Ouf ! Mais non, ne crions pas victoire trop tôt, la nuit nous réserve des surprises. L’ami de Karim, que nous avons régulièrement en ligne, nous réserve une chambre à Manosque. Il faut donc y arriver le plus vite possible. 

C’est 20km après être descendus de la camionnette de viande que l’accident arrive. Je suis devant dans une descente. Karim s’endort sur le vélo et me percute violement par l’arrière. Je suis projeté sur le bitume avec le vélo et les affaires projetées un peu partout. Je suis sonné et met quelques secondes à reprendre mes esprits. J’appelle Karim mais il ne répond pas. Il fait nuit noire et je constate avec ma lampe que la route est envahie d’affaires qui se sont détachées du vélo. L’idée première est de voir si je n’ai rien de cassé, visiblement ce n’est pas le cas. Bien abimé au genou et à la hanche mais rien de plus. Reste à retrouver mon téléphone pour pouvoir appeler les secours pour Karim. Le téléphone est à une dizaine de mètres du vélo. J’appelle toujours Karim et pas de réponse. D’un seul coup je l’entends en train d’essayer de me répondre, il gémit mais reste introuvable. Je prends donc une lampe plus puissante et mets sur le côté de la route toutes mes affaires au cas où une voiture arrive. Je cherche dans les contre-bas et soudain trouve son vélo quelques mètres plus bas dans des fourrés. Je lui demande où il est. Au fond me dit-il, mais au fond de quoi ? Je descends vers son vélo pour le remonter et quand je bouge le vélo, j’aperçois Karim en dessous la tête en bas et complètement immobile. Aïe aïe aïe ! Une fois le vélo remonté, je redescends chercher Karim, il me tend la main et je le remonte tant bien que mal, le terrain détrempé ne m’aide pas.

Nous faisons un point sur la situation. Karim a eu un coup à la tête mais rien d’autre et moi, mes blessures ne m’empêcheront pas de continuer. Reste l’état des vélos, mon frein avant ne freine plus à fond, la poignée est tordue. Pour le vélo de Karim, restait à remettre le cintre en bonne position. Je fais un check des vélos pour être certain qu’il n’y ait pas de casse plus importante et nous pouvons ramasser nos affaires et repartir.

On se dit alors qu’il faut arrêter les bêtises, nous faisons conneries sur conneries à cause de la fatigue. Et ce qui m’inquiète le plus, est le fait que nos téléphones arrivent en fond de batterie. C’est dangereux, si nous ne pouvons pas appeler de secours, c’est prendre un gros risque. 

Nous décidons donc de rejoindre le village suivant, Saint Michel l’observatoire, où nous arrivons à 3h du matin. On s’arrête sur une terrasse de café, Karim s’allonge sur une fontaine et s’endort tout de suite. Je cherche un robinet pour remplir les bidons, je fais toute la place du village et en trouve un bien planqué. Sur la tonnelle de la terrasse de café, il y a des guirlandes lumineuses, je cherche alors la source électrique espérant trouver une prise. Et bingo, je la trouve, on peut enfin remettre nos téléphones en charge le temps de faire une sieste.

RAF 22 : 2495 km

Nous repartons à 5h en direction de l’hôtel réservé à Manosque. On y arrive à 6h.

Pas le temps de dormir ni de prendre une douche, juste le temps de prendre un petit déjeuner bien copieux le temps que nos appareils GPS et téléphones sont en charge.

Nous repartons à 8h, sachant qu’il nous reste 190km à faire avec encore 3 cols. Le tout pour arriver à Mandelieu avant 20h donc à faire en 12h ! Ça va être chaud !

On se concentre et on se motive l’un et l’autre, on est en souffrance totale, cette nuit a été riche en rebondissements, espérons ne pas revivre de nouvelles mésaventures.

Voyant que nous aurons du mal à être dans les délais, l’ami de Karim appelle l’organisation pour demander si le délai de 4h qui nous avait été octroyé pour cause d’orages violents, pouvait être reporté au Cut-Off final. L’organisateur accepte et nous laisse donc jusqu’à minuit pour arriver à Mandelieu.

Ça va être juste mais s’il ne nous arrive rien de nouveau, ça peut le faire. Nous passons le premier col et marquons une pause pizza à 13h30, nous avons trop faim. Nous sommes à La Palud sur Verdon et le temps est plutôt correct même si c’est couvert. La pizza est tellement énorme que je ne peux pas la finir. Au moment de repartir, un terrible orage fait son apparition ! Nous sommes maudis, pas un jour sans orage et ce jusqu’à la fin ! Nous devons repartir sous une pluie battante. Ma femme m’appelle pour me signaler qu’à Mandelieu c’est une véritable tempête, tout s’envole. Plus qu’à faire très attention !  Le dernier col de Bleine fût une vraie tannée. Dur et interminable, je craque, je chiale sur le vélo, je n’en peux plus. La pluie continue. La tête me fait extrêmement mal. Je me demande si je vais aller au bout. Karim est devant et je ne peux apercevoir que sa lumière au loin.

Arrivés en haut de Bleine, on se congratule et on se dit que tout est terminé, plus que de la descente.

Mais erreur, il y a encore le col de Castellaras. Oublié aussi celui-là. Ensuite, plein de routes en faux plat sur lesquelles nous n’avançons pas. On se rend compte que le délai va être trop juste. Il faut accélérer.

Mais avec ma tête tombante, la descente de Grace est une énorme souffrance. Je pense à un moment à dire à Karim d’y aller, je ne peux plus continuer, il reste 20km mais sur des routes défoncées et en descente, tout ce qu’il ne me faut pas. Je ne peux même plus tourner la tête. À chaque intersection je dois m’arrêter même s’il n’y a pas de voiture. Un cauchemar !

Karim m’encourage et enfin nous apercevons les lumières de l’arrivée ! Enfin ! Il est 23h45, 15 minutes avant le Cut-Off !

RAF 22 : 2681 km

Nous sommes donc tous les deux Finisher et moi la lanterne rouge du classement. Mais ultra content d’avoir tenu bon jusqu’à la fin. Une délivrance et l’aboutissement d’une union avec Karim qui nous a permis de rejoindre l’arrivée. L’un sans l’autre, nous étions foutus.

Une histoire de vie incroyable. On me demandait pourquoi faire cette épreuve. Avant le départ, je ne savais pas trop quoi répondre, je n’en savais rien moi-même. Une fois terminée, je comprends ce que j’en tire comme leçon. Cette amitié avec Karim que je ne connaissais pas jusque là est sans prix. C’est comme un frère, je pense que notre aventure restera gravée à vie. Une leçon de moral, comme quoi, jamais rien n’est foutu, il y a toujours une solution à tout, le tout est de ne rien lâcher et d’y croire.

Un très grand merci à tous ceux qui nous ont soutenu à toute heure, nous ne pouvions pas répondre, mais sans ces encouragements, l’aventure ne serait peut-être pas allée au bout.

Merci à tous et surtout à Karim!

finisher Raf 2022

                                                                      dernier de la raf 2022 

Raf 2022 arrivée

trophée raf 2022

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